La Féminine Comédie
des Vents de Micou Rouziès


                 
        Hantée par le vent, oui ! Comme Dante l’était par l’Enfer et Béatrice, Micou est hantée par le vent… Oui, mais si Dante se plaisait aux trilogies convenues, pour Micou, les vents ont bien d’autres lieux que les trois régions confinées de l’Au-delà : l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis ne peuvent tous les contenir et l’imagination, affranchie, leur offre enfin des contrées libérées du fatal triptyque.
VENT D'AUTAN    Si Dante, fidèle à l’ordre patriarcal des anciens, propose, au terme de sa Divine Comédie,  une fin heureuse, en conduisant les âmes purifiées jusqu’à Dieu, il n’échappe pas à la prison des paradigmes chrétiens. Bien au contraire, il en consolide l’édifice : il nous peint un Dieu sévère et omnipotent que sa plus belle création, l’humanité — bien entendu souffrante et infiniment coupable, mais pleine d’amour et toujours compatissante —, vénère dans un ordre éternellement patriarcal.

Légende 
        A contrario, avec Micou, la Féminine Comédie des Vents nous offre autre chose : non pas un autre ordre, mais la joie des désordres ou la raison des déraisons, et la richesse des irrationnels. Les vents sont d’ici, en chair et en os, et toujours féminins. Leurs habits sont autant de gréements pour des corps voiliers librement jetés sur les flots de la vie et de ses saisons. Le Verbe qui les agite n’en dit pas moins que l’homme demeure perdu dans une « forêt féroce et âpre et forte », mais cette forêt est celle des hommes.
        Perdus, les hommes ne le sont que pour avoir laissé les esprits retors s’approprier la vie. Féroces et intolérants, des bâtisseurs d’axiologies violentes, des ordonnateurs de dogmes sanguinaires,  — c’est la logique des hommes — ont, petit à petit, érigé des machines à broyer l’innocence et la joie. Ces machines idéologiques ont des noms toujours changeants : ici le Livre, là la Loi ou la Raison d’Etat, là encore le Progrès ou la Vérité. Petit à petit, bien chevillés aux certitudes fabriquées par la force et la ruse, les vainqueurs ont accusé les autres, tous ceux qui voulaient vivre autrement, de s’éloigner d’un prétendu « droit chemin ». Et, ne sachant ni aimer, ni admirer la poésie, ou la grâce et la générosité des souffles différents de la vie, ils ont d’abord dénié la Vie et la Poésie. Puis, ils ont savamment asservi ou massacré tous ceux qui, par amour de la liberté, refusaient d’adhérer aux rochers de leurs dogmes, tous ceux qui ne pliaient pas sous le joug arbitraire de leur autorité et tous ceux qui osaient critiquer leur sombre logique. Depuis, les esprits se sont fatalement appauvris par les nécessités de la conservation du pouvoir, par les méfaits de la force aveugle et le monolithisme des systèmes hostiles à la pluralité. Alors obnubilés par l’habitude et la tradition des véneries, la majorité des hommes sont devenus prisonniers des empilements qui les hiérarchisent aux ordres qu’ils édifient ou acceptent sans recours, et qui finissent par les stratifier en couches mortifères. A terme, des masses entières se sédimentent et cultivent, aux grandes prairies des volontés belliqueuses — le plus souvent charriés par les fleuves de leur haine —, des armées
d’imbéciles qui se transforment en tueurs. Ils ne vivent plus, dès lors, que pour tuer la Vie. Voilà pourquoi il n’y a, en fin de compte, d’Enfer que celui qu’ils ont, ici, historiquement créé, depuis la nuit des temps : l’enfer Humain-masculin du triomphe de la bêtise.
  Ici, dans la série des Vents, les neufs cercles de l’enfer sont remplacés par lesZEPHYR neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf noms de vents. Hélas, les plus connus, Aquilon, Blizzard, Alizé et Sirocco, si fréquemment déclinés par les poètes doucereux, font trop souvent oublier la profonde musique et le sérieux mystère des vents qui nous sont pourtant si proches : Noroît et  Mistral ou Vent de Foehn.  
Légende
                                                                               
                                                 

                                             
        Limités par les œillères de notre culture et de nos habitudes, nous imaginons toujours les vents en fonction de nos racines. Or la vie ne s’enracine pas, ici où là, à son gré, pour qu’on en vienne à mépriser la pluralité des autres lieux et la diversité des autres formes. Encore moins pour qu’on perde le goût de la Terre dans son unité, dans son entière diversité, dans sa Liberté toujours renouvelée. La vie nous donne un tout dont aucune des parties ne peut être retirée : c’est pour que soit sans cesse régénéré le goût du voyage et que nous puissions, sans fin, admirer n’importe laquelle de ses merveilles, quand elle s’est enchâssée, au hasard des aléas de l’histoire, dans un temps et un espace déterminés. Furicano chante un latin aussi fol que celui d’Altanus et alors ? L’Etésien est presque philosophe. Lebbecio nargue la Corse, et c’est bien fait ! L’Harmattan naît saharien et remonte si loin que les vents de sable nous surprennent à des milliers de kilomètres. Dzhani fait le berbère…   Et Grégal ? « Ça lui est égal! », répond un enfant basque. Kamakaza rime avec Matanuska et se parfume à l’Oural, Loo s’éprend de Solano : c’est Balaguère qui le raconte. Mais ce dernier est plus jaloux qu’un andalou et plus méchant que le Norther. Et quand l’Autan Blanc fait son caprice sur Toulouse il s’épuise à Bordeaux sur les quais où, parfois, quelques bateaux de la couronne d’Angleterre, de retour des Indes, sentent encore la Challiho et la Guyenne libérée. On pourrait poursuivre la liste et les lieux : Haboob, I Tien Tien Fung, Brickfielder, Cers, Sharav, Freemantle Doctor, Auster et Iseran, tous des noms de vents qui réclament que l’on aime les mots pour dire leur être, et le mot pour rassembler les êtres : LE VENT.
        Avec la série des Vents, Micou impose un dolce stil nuovo (un nouveau style doux). Son Virgile à elle ? La cause des effacées. Et, comme Dante, elle parle une langue vernaculaire : celle de l’émotion et de la sensualité. Sa sculpture est l’écriture d’une femme du commun à l’ouvrage. Le voyage imaginaire qu’elle nous propose peut se concevoir comme une allégorie de la purification… non pas des âmes, mais une purification des esprits imprégnés de mauvais vents ou des corps, dont les viscères aigries par le ressentiment, lâchent sans cesse des vents putrides d’inimitié, de mépris et de bêtise incommensurable. Les Vents que nous offre Micou sont là pour nous réconcilier avec nous-mêmes. Ils nous lavent l’esprit des poncifs que nous adoptons, hypocritement, pour oublier nos fragiles survies. Les Vents de Micou mènent à la paix intérieure grâce aux pouvoirs de la raison et de l'amour réconciliés. Comme Virgile – la raison – se fait le messager de Béatrice – l’amour les Vents de Micou nous servent de guides et nous dépaysent tout au long d’un cheminement qui nous gratifie d’un étonnement serein.
                  Légende  ALISELes neuf corniches du purgatoire conduisent Dante à la rédemption et l’on sait que c’est Béatrice qui guidera Dante vers l’Empyrée, à travers les neuf cieux, jusqu’à l’ultime vision mystique où le regard se perd dans la contemplation de Dieu, principe d’Amour, ordonnateur et moteur de toutes choses.
    Mais pour Micou Les Vents sont plus que rédempteurs ils nous débarrassent justement de tout le fatras des paradigmes patriarcaux et nous rendent à la Terre et à la Vie.
       LEmpyrée est là, et la Féminine Comédie des Vents est un magnifique pied de nez à l’effacement subi : celui de l’effacement choisi. Que le vent balaye depuis Bélaye, des siècles de préjugés ! Et que la chanson idiote, V’la l’bon vent, finisse enfin autrement qu’en mettant les filles au couvent et les garçons au régiment ! Que le fils du roi puisse tourner son fusil d’argent contre sa propre noirceur d’âme et faire de son blason une cible pour… laissés aux haines 1 !
         Mais le vent efface et attise. Attisé par lui un souvenir presque éteint peut se rallumer et incendier nos mémoires. Ainsi, chaque fois qu’une sculpture de la série des Vents capte notre regard, une vieille antienne d’enfant, que nous avions oubliée — comme tant d’autres souvenirs—, pourrait bien attiser notre passé et brûler le champ stérile de nos mémoires d’un bel écobuage : « Vent frais / Vent du matin / Vent qui souffle / Au sommet des grands pins / Joie du vent qui passe / Allons dans le grand… / Vent frais / Vent du matin… ». Ad libitum !
ALTANUS10
           L’Empyrée est là : dans cette enfance retrouvée, dans le plaisir de jouir, simplement, de ce que la vie donne avec générosité à tous ceux qui ne savent – trop souvent–, ni la goûter, ni la remercier, ni la respecter. Le vent est le plus bel effaceur de peine et de nuages et le plus grand attiseur de joies. C’est un enchanteur de purgatoires. On rêve, parfois, de belles tornades pour détruire et nettoyer tout ce qui s’alimente de pulsions mortifères. Les Vents de Micou sont nos
                                                                                                  Légendecomplices, ils soufflent dans les voiles de l’imagination libérée et, tout au long du chant que porte sa Féminine Comédie, le voyage proposé aux passagers des Vents est un hymne à la fragilité retrouvée : celle de la joie et celle de la vie.


1 Les C.O.N, bref, les cons.


Pour Micou, Bélaye 2008.
     

Gérard Fronty.